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Gravures, cavernes et poissons killies - Journal-de-Bord #7

vendredi 10 juillet 2015, par Hugo Struna

Une fois n’est pas coutume, nous partons vers des grottes situées à proximité de notre camp. De toute façon, tout ou presque reste à découvrir, même aux abords immédiats de Lastoursville. En nous arrêtant chez le guide contacté la veille, nous le trouvons accompagné de quatre personnes s’apprêtant à monter dans notre véhicule. Tous veulent faire partie de l’équipée, pour des raisons qui m’échappent encore. L’effectif est d’autant plus important que Laurent Chirio, vient de nous rejoindre pour deux semaines. Il est herpétologue [1], ichtyologue [2] et amoureux de la faune africaine. Aujourd’hui, il décide d’amener avec lui quelques épuisettes pour explorer les eaux environnantes.


La marche fut courte, sur un chemin bien dégagé ; autant dire que cela repose les corps après les excursions harassantes des derniers jours. A peine arrivé devant le large porche d’entrée de la grotte devant laquelle nous ont conduits nos guides, Olivier et Stéphanie décident, sûrement par esprit aventureux, de pénétrer sans attendre la cavité par une petite ouverture, située quelques mètres plus haut. Le reste de l’équipe s’apprête à leur emboîter le pas lorsque retentit la voix d’Olivier « Richard ! Des gravures sur la paroi ! » La journée semble bien commencer.

Des gravures uniques

Naturellement les archéologues Richard et Prosper s’empressent de les rejoindre. Nous découvrons effectivement, surplombants leur regard charmés, un motif curieux, inscrit sur la roche dans l’entrée de la cavité. Alors que tout le monde attend l’expertise de Richard il coupe court à l’euphorie : « C’est un graffiti ça ! » Puis en s’approchant, son air change « Oui c’est probablement une gravure ancienne, mais je n’ai jamais rien vu de tel » Le dessin représente une forme spéciale, rien de reconnaissable hormis une double arabesque très nette et trois courbes juxtaposées. Autre particularité : les traits sont doublés. Richard pense qu’ils ont été tracés, non pas avec une pierre, mais plutôt avec une tige métallique. Fasciné par cette gravure mystérieuse, l’archéologue parcourt d’un œil avisé les moindres détails.. Les photographies permettront peut-être de retrouver la forme originelle des motifs, seule façon d’obtenir une datation. Les découvertes pourraient en rester là que la journée serait déjà réussie. Mais en s’enfonçant un peu plus dans l’entrée, Prosper le « bras droit » de Richard met au jour quelques tessons de poteries, certaines possédant même de beaux ornements. Ces témoignages feront l’objet d’études plus poussées en rentrant. Pour l’instant, il faut retrouver Olivier et Stéphanie, qui ont pris de l’avance dans les entrailles de la cavité.

Richard Oslisly devant les gravures rupestres toutes justes découvertes
Richard Oslisly nous décrit la gravure
Prosper Ntoutoume découvre des tesson de poterie dans la grotte de Lastoursville

Dans les entrailles de la terre

Ne sachant à quoi s’attendre, les deux spécialistes nous conduisent finalement dans un véritable voyage au centre de la terre.
Les premiers pas suivent un couloir sinueux relativement confortable. Entre nos chaussures qui montrent déjà quelques signes d’usure coule un petit ruisseau tranquille. Mais en progressant dans la galerie principale, le débit augmente et le cours d’eau s’écoule soudain en cascade. « Laissez les appareils photos ici ! » nous assène Olivier, quelques mètres devant. Au vacarme de l’eau tumultueuse et à l’intonation du spéléologue, on devine que la promenade risque de changer d’allure. En descendant la cascade, nous tombons sur Olivier qui s’approche lentement d’une chauve-souris s’épuisant à la surface de l’eau. Visiblement l’eau n’est pas son milieu préféré… Elle reprend progressivement de la vigueur lorsqu’avec ses deux pattes elle parvient à agripper le casque d’Olivier. Nous repartons, guidés par le spéléologue et l’animal juché sur sa nouvelle monture.

Dans la grotte de Lastoursville

La progression est de plus en plus sportive, il faut dorénavant escalader des blocs de calcite - souvent glissants-, se hisser avec tous les muscles pour poursuivre le conduit. Tantôt à plat ventre au sol, tantôt à plusieurs mètres de hauteur nous progressons, lentement mais sûrement. « Là tu vois, un orage violent à l’extérieur et nous sommes faits … » lance Laurent, peu habitué lui non plus à ce type de milieu. Nous préférons ne pas y penser…

Au bout d’une heure Olivier nous annonce que nous avons « déjà » fait… 300 mètres de distance.
Les notions de distances dans les grottes nous échappent. En effet, sur ce « parcourt du combattant » notre vitesse de progression se voit constamment freinée. Et puis nous perdons nos repères dans les grottes, comme nous l’enseigne Olivier « Dans un souterrain, vous n’avez plus de repère qui indique le l’écoulement du temps comme le soleil, la nature vivante etc. C’est comme si nous étions dans un milieu totalement clos ».

Mesure de la conductivité de l’eau karstique souterraine par Olivier

Soudain, arrêté au bord d’un précipice, Olivier se retourne vers nous. « Regardez ! Une corde installée pour descendre ! » Effectivement, une vieille corde à nœud torsadée tombe raide dans le gouffre, accrochée à un rocher. Le modèle du cordage ne laisse pas de doute : Gérard Delorme, le géologue dont nous suivons les traces a bien poursuivit sa course ici, il y a quarante ans. En ce qui nous concerne, la progression s’arrête là, faute de matériel.
Olivier a bien hésité à utiliser cette corde en rappel, mais qui sait si elle aurait tenu… Nous faisons demi-tour, tous d’accord sur la nécessité d’y retourner.

Pêche aux killys

Une fois à l’air libre nous cassons une croûte pour nous remettre de nos émotions souterraines. Déjà satisfaits de la journée entre la découverte archéologique et cette grotte mémorable, nous ne sommes pourtant pas au bout de nos surprises.

Laurent décide de descendre le ruisseau dans la forêt. Nous avons eu de la chance jusque-là, voyons ce que nous réservent les cours d’eau. Equipés d’une petite épuisette et de deux autres filets aux bords rigides, nous le suivons, intrigués par ce qu’il pourrait remonter. Les essais préliminaires ne donnent rien de concluant.

En s’éloignant à contre-courant Laurent essaie à nouveau en fouillant près des berges. « Et voilà, le premier killy, un Prataplo chilus ! » piégé au fond de l’épuisette nous distinguons un petit poisson transparent de deux ou trois centimètres aux reflets bleus. L’animal n’est pas rare mais ce que Laurent tient dans sa main, peut-être… « Il est très probable que nous soyons face à une nouvelle espèce. » Très peu étudié – seulement six espèces décrites dans quelques régions du Gabon – Laurent compte sur cette expédition pour garnir, entre autre, l’inventaire de la faune piscicole autour des grottes mais aussi à l’intérieur. « Il me faut trente individus pour annoncer une nouvelle espèce, nous ne sommes pas rendu… » Le coup de filet suivant lui donnera tort : un banc de killys de toutes tailles se fait soudainement piéger. A travers le bocal dans lequel nous les plongeons, il est difficile de savoir s’ils différent des autres, même morphologiquement. « Nous verrons ça au camp, les photographies zoomées nous donneront le fin mot de la découverte. » conclue Laurent, en pliant son épuisette.

suivez Laurent Chirio au cours de sa pêche aux killys

Journée fructueuse à tous les niveaux. Archéologues, spéléologues, naturalistes, tous les scientifiques furent récompensés par cette grotte de Lastoursville qui marquera, à coup sûr, cette expédition. Nous déchargeons le coffre moins d’un quart d’heure après avoir quitté le site. Comme quoi les parages de Lastoursville conservent encore de petits trésors.

Un killy, très certainement une nouvelle espèce au Gabon

L’équipe du jour :
Richard OSLISLY, géoarchéologue
Laurent CHIRIO, Ichtyologue,
Olivier TESTA, spéléologue
Stéphanie JAGOU, spéléologue
Prosper NTOUTOUME, archéologue
Narcisse LEMBOMBA, écoguide
Hugo STRUNA, journaliste

Notes

[1spécialiste des reptiles

[2spécialiste des poissons, et plus précisément des killies

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